Jorge CAMACHO
Né le 5 janvier 1934, à La Havane, et décédé en 2011, Jorge Camacho vivait et travaillait entre l’Andalousie (région d’Almonte) et Paris, depuis 1975. Autodidacte, il se lia, peu de temps après son arrivée en France, aux surréalistes en 1959, qui le reconnurent d’emblée comme un frère de sang. « …Ainsi en va-t-il, au plus près de nous, de la révolution cubaine, poignante comme au premier jour et que nous saluons sans réserve. Telle est la toile de fond sur laquelle se détache, armé de pied en cap mais aussi assuré de toutes les séductions dont il dispose, Jorge Camacho. Certes, nul plus que lui n’a eu souci de préciser sa position tant morale que sociale dans la lutte actuelle – dont l’enjeu n’est pas seulement le sort de son pays – et c’est avant tout l’indignation qui le porte : il n’est que de se souvenir de sa très active participation à l’opération dite de l’« Abattoir » lors de la 3ème Biennale de Paris (octobre 1963), qui s’ouvrait par un « Manifeste pour les Morts-Otages » on ne peut plus explicite. Toutefois, dans cette lutte, il a toujours pris garde à ne pas laisser s’aliéner ses plus profondes pulsions tout individuelles, compromettre les ressources qui lui sont échues en propre, nous priver de la révélation de ce qu’il porte d’UNIQUE en lui. C’est en sacrifiant sans le moindre hiatus à cette double exigence que Jorge Camacho se qualifie hautement en tant qu’artiste surréaliste... Camacho accède d’emblée au rang de ceux qui ont, ou ont eu, le plus et le mieux à dire. Il est aujourd’hui par excellence celui qui piège, d’où inévitablement quelque effusion de sang çà et là pour attester la cruauté bien moins chez lui que chez les autres... Nul aujourd’hui mieux que Camacho ne fait mentir l’assertion selon laquelle la peinture surréaliste « semble se soucier rarement de la belle peinture »... On admirera comme Jorge Camacho a su se rendre maître d’un espace tout à lui, non sans analogie avec celui que décrit, radar aidant, l’aile membraneuse de la chauve-souris – espace non moins compartimenté de haut en bas que de long en large par tout un système de trappes, de soupiraux et de chatières. Pour notre plein envoûtement lui est impartie cette gamme illimitée de tons sourds déployant les fastes de ce qui pourrait être au crépuscule ce que l’aurore boréale est à notre matin », put écrire André Breton (in Brousse au-devant de Camacho, 1964. Texte repris dans Le Surréalisme et la peinture). « Celui qui piège », comme le désigna André Breton, puisa dans tous les domaines de la culture pour nourrir sa création (l’art précolombien, le jazz, la musique andalouse, la poésie, la science alchimique, la Kabbale, la photographie et l’ornithologie). À partir de 1960, son espace pictural aborda des mondes torturés où l’ésotérisme côtoya un chamanisme surprenant. À propos de ses œuvres, qui empruntent des chemins de violence et de sève, Jorge Camacho aimait à dire que « chaque tableau part d’un dessin au crayon, bien construit et défini. La marge d’improvisation demeure dans le choix chromatique et le développement final… J’ai toujours considéré que le dessin constitue la structure fondamentale du langage pictural ». Sur ses toiles, les formes explosent, saturent l’horizon de fumée et de cendre ou bruissent d’une vie secrète, cachée, celle des lentes germinations dans un paysage surchauffé de soleil. Affirmations verticales, troncs noueux contrariés par des greffes d’ossements et de serres, des totems s’élèvent qui ne sont ni tout à fait organiques, ni tout à fait désarticulés. Ils traversent des flamboiements de brasier. « À l’ordre de la nuit, au désordre du jour, le pinceau de Jorge Camacho parle d’or », écrit M.-L. Missir. Le dossier des HSE 23/24 comprend une présentation de l’œuvre et de la vie de Camacho, un entretien inédit, un choix de poèmes de l’auteur et de ses amis : Joyce Mansour, bien sûr, mais aussi Guy Cabanel, Matta et surtout Reinaldo Arenas, dont il était également le légataire universel. Parallèlement à son travail pictural, Jorge Camacho s’intéressa aussi à l’écriture et à l’édition d’ouvrages. Il publia en 1968 son recueil de poèmes L’Arbre acide et illustra les poèmes d'Hervé Delabarre, puis en 1970, avec Hervé Télémaque et Wifredo Lam, Dialogue de mes lampes, Tabou et Déchu du poète haïtien Magloire Saint-Aude. Il réalisa des lithographies pour Pari mutuel de François-René Simon, pour Les Morti-Morts de Rached Chaieb et El Circulo de Piedra de Carlos Franqui. Camacho était aussi un amoureux averti de jazz et de flamenco. En 1981, il donna des textes sur le « Cante Jondo » qui furent diffusés par la Radio Popular de Sevilla, et collabora à la revue Sevilla Flamenco dirigée par Emilio Jiménez Diaz. Il s’adonna également à la photographie qui, pour lui, constitua un témoignage objectif de ses passions, qu’il s’agisse des monuments parisiens faisant signe à l’alchimie, des oiseaux ou de squelettes d’arbres érodés, figés dans les sables de Coto de Doñana en Andalousie. En 1994, son premier livre de photographies Cruces de Doñana, est publié en Espagne. Plusieurs expositions de photographies eurent lieu à Paris : à la galerie Mathias Fels en 1982, «Oiseaux» ; à la galerie Thessa Herold en 1996, « Les Bois des sables » ; à la galerie Les Yeux Fertiles en 2003. À consulter sur Jorge Camacho : Zoé Valdès, Jorge Camacho, Le miroir aux images, Somogy, 2003. Anne Tronche, Jorge Camacho, vue imprenable, Palantines, 2004. Reinaldo Arenas, Lettres à Margarita et Jorge Camacho, Actes sud, 2009. Christian Nicaise, Jorge Camacho, les livres illustrés, L’Instant perpétuel, 2009. Sarane Alexandrian, Les Peintres surréalistes, Hanna Graham, 2009.
Karel HADEK
(Revue Les Hommes sans Épaules).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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